vendredi 5 août 2011

Platon sur l'amour, l'identité et l'immortalité

En effet, même dans ce que l'on appelle la vie individuelle de chaque vivant et dans son identité (c'est ainsi que, depuis sa petite enfance jusqu'à ce qu'il soit devenu vieux, on dit qu'il est la même personne), oui, cet être-là, quoi qu'en lui il n'ait jamais les mêmes choses, on l'appelle néanmoins le même, et cependant, tout en faisant des pertes, il se renouvelle incessamment, dans sa chevelure, dans sa chair, dans ses os, dans son sang et, d'une façon générale, dans tout son corps. Et ce n'est pas seulement dans son corps, mais ce sont aussi, selon l'âme, ses manières d'être, son caractère, ses opinions, ses désirs, ses joies et ses peines, ses craintes, c'est chacun de ces éléments qui, pour chacun de nous, ne se présente jamais identique à ce qu'il était ; il y en a, au contraire, qui viennent à l'existence ; il y en a d'autres qui se perdent.

Or, ce qu'il y a de plus déconcertant encore que tout cela, c'est que, même en ce qui concerne les connaissances, non seulement il y en ait qui viennent pour nous à l'existence, et d'autres qui se perdent, et que nous ne soyons jamais non plus les mêmes dans l'ordre de nos connaissances, mais c'est aussi que chacune des connaissances subit elle-même un sort identique ! Ce qu'on appelle en effet étudier implique une évasion de la connaissance ; car l'oubli, c'est une connaissance qui s'évade, tandis qu'inversement l'étude, remplaçant la connaissance qui s'en va par un souvenir tout neuf, sauvegarde si bien la connaissance qu'on la juge être la même !

C'est de cette façon, sache-le, qu'est sauvegardé tout ce qui est mortel ; non point, comme ce qui est divin, par l'identité absolue d'une existence éternelle, mais par le fait que ce qui s'en va, miné par son ancienneté, laisse après lui autre chose, du nouveau qui est pareil à ce qu'il était. C'est par ce moyen, dit-elle, que ce qui est mortel, Socrate, participe à l'immortalité, dans son corps et dans tout le reste. [...] Donc, ne t'émerveille pas que ce qui est une repousse de lui-même, chaque être ait pour lui tant de sollicitude naturelle, car c'est en vue de l'immortalité que font cortège à chacun d'eux ce zèle et cet amour !
Platon, Le Banquet

Aucun commentaire: