lundi 13 septembre 2010

Psychologie des foules

Cependant, une expérience très simple qu'Erich von Holst a faite autrefois avec des vairons, nous montre que ce point de vue ne se justifie guère. Von Holst enleva à l'un de ces petits poissons la partie antérieure du cerveau, siège - chez ces poissons du moins - de toutes les réactions assurant la cohésion de l'essaim. Le vairon ainsi opéré voit, mange et nage comme ses congénères normaux. La seule propriété qui l'en distingue c'est qu'il lui est parfaitement indifférent de perdre son essaim, sans qu'aucun de ses compagnons le suive. Ce qui lui manque, c'est cette hésitation et inquiétude que montre un poisson normal qui, bien que désirant intensément nager dans une direction choisie, se retourne pourtant après quelques mouvements vers les autres membres du groupe et se laisse influencer par le fait qu'ils le suivent ou non. Au poisson décérébré par von Holst, tout cela était parfaitement égal. S'il apercevait de la nourriture ou pour n'importe quelle autre raison, il se mettait délibérément en marche, et voilà que tout l'essaim le suivait. Grâce à son infirmité, l'animal opéré était devenu le chef incontesté !
Konrad Lorenz, L'agression