vendredi 30 juillet 2010

Pensée du jour, VI

Beaucoup de maîtres prônent l'amour comme ce qui est le plus haut, tel saint Paul quand il dit : « Quelque tâche que j'entreprenne, si je n'ai pas l'amour je ne suis rien ». Mais je mets le détachement encore au-dessus de l'amour. D'abord pour cette raison : le meilleur dans l'amour est qu'il m'oblige à aimer Dieu. Or c'est quelque chose de beaucoup plus important d'obliger Dieu à venir à moi que de m'obliger à aller à Dieu, et cela parce que ma béatitude éternelle repose sur ce que Dieu et moi devenions un.

La seconde raison pour laquelle je mets le détachement au-dessus de l'amour est celle-ci : si l'amour m'amène au point de tout endurer pour Dieu, le détachement m'amène au point de n'être plus réceptif que pour Dieu.

L'homme qui est complètement détaché est tellement ravi dans l'éternité que rien de passager ne peut plus l'amener à recevoir une sensation corporelle. Il est mort au monde parce que rien de terrestre ne lui dit plus rien. C'est cela que saint Paul avait en l'esprit quand il disait : « Je vis et ne vis pourtant pas. Le Christ vit en moi »
Maître Eckhart, Du détachement

mercredi 28 juillet 2010

Rêves et composition musicale

La sortie d'Inception de Christopher Nolan - qu'il me reste d'ailleurs à voir - me paraît présenter une bonne occasion pour parler à nouveau de mes aventures oniriques et plus particulièrement de mes épisodes créatifs. J'ai déjà abordé le problème du rêve lucide et de la créativité en son sein dans un billet précédent, rapportant simplement une courte réflexion de Leibniz à ce propos. Le fait de se retrouver dans un environnement onirique qui semble de par sa complexité et son agencement avoir été pensé est toujours chose surprenante. Si la beauté des paysages et l'incroyable réalité des sensations peuvent nous étonner, plus surprenante est encore la création artistique - spécifiquement musicale - permise par les rêves lucides. Ces derniers ont beau être en soi déroutants, nous pouvons ceci étant facilement concevoir que le cerveau puisse recycler l'ensemble des images enregistrées dans notre mémoire depuis notre naissance, et ainsi nourrir nos rêves de villes, de paysages et de personnages inconnus.

Il est beaucoup plus difficile d'admettre que le cerveau puisse créer ex nihilo de la musique. C'est pourtant l'expérience que j'ai faite. En réalité, deux cas de figure se sont présentés à moi au cours de mes voyages oniriques. Dans la première situation, j'étais simplement saisi d'une grande inspiration et composait avec aisance - je me suis même souvenu d'un air au réveil, rapidement oublié mais dont j'ai pu attester l'originalité. Dans la seconde situation, autrement plus étrange, mon rôle était purement passif ; la musique venait d'une source extérieure et habillait mon rêve comme la bande son d'un film, à l'instar de ces notes mystérieuses que percevait dans son agonie Ivan Lourine, le compositeur mourant dépeint par Dino Buzzati dans Duel à mort. J'ai parfois été suffisamment conscient et réfléchi pour remarquer à quel point cette musique était complexe en plus d'être belle.

La lecture de forums consacrés aux rêves lucides m'a appris que je n'étais évidemment pas le seul à avoir connu cette expérience. En outre, il n'est pas exact de circonscrire le phénomène aux seuls rêves lucides ; lors de la phase d'endormissement, ou dans les minutes qui suivent le réveil, quelque part entre rêve et réalité, notre aptitude à créer et à composer semble étrangement développée. Je ne me risquerais pas à apporter l'embryon d'une explication à ce curieux phénomène, mais on pourrait dire en tout cas que nos rêves lucides semblent parfois puiser dans les eaux d'une source intarissable.